Les lignes de la main

… Disons que… j’étais au trente-sixième dessous. Plus métaphoriquement introduit, j’étais comme ce besoin urgent assouvit mais non essuyé de toilettes publiques mal desservies; au bout du rouleau! Ma vie ne faisait plus de sens. Il fallait me voir, mais comme je me confinais volontairement aux yeux du monde, les curieux ne se bousculaient pas au tourniquet de ma vie! Et ceux qui parvenaient jusqu’à moi, en rampant par les interstices des portes et fenêtres de ma maison centenaire, je les écrasais sans remords sous le pied du jugement divin pour unique raison que ces bestioles étaient les spectatrices de mes problèmes de santé mentale émergents.

Je venais de me séparer, j’étais malheureux professionnellement, ma confiance était au plus bas. Comment dire, perdre confiance en soi c’est un peu comme retirer internet de son ordinateur, tu n’es plus le capitaine à la barre du bateau de  navigation de ton existence. Il faut vivre avec une personnalité réduite qui n’inclut que le traitement texte, la calculette, solitaire et casual games! Vivement les soirées auto-romantique d’un adolescent des années 90’.

De toute façon sortir de chez moi ne servais à rien, je ne souriais plus aux gens. D’ailleurs, j’ai même une collègue de travail qui m’avait fait la remarque. Elle m’a dit : “Sébastien, ça n’a pas l’air d’aller, tu as perdu ton sourire énigmatique de Joconde! ” Alors là! Moi qui avais toujours été mystérieux et énigmatique dans mes contractions faciales, de me faire dire que j’avais perdu mon sourire de Joconde, ça a été un choc! Plus choquant encore que le jour où j’appris que Frank Oz qui personnifiait la voix de Yoda dans Star Wars faisait aussi la voix de Miss Peggy. Je me rappelle qu’à ce moment précis, j’avais perdu mes deux plus puissants fantasmes de jeunesse, dont l’un n’était pas sexuel!

Ce commentaire aux allures anodines de ma collègue de travail avait été tellement subit que sur le coup, j’ai pris la lame de rasoir que je conserve toujours dans la poche secrète de mon pantalon et je me suis coupé une oreille! Tant qu’à perdre mon sourire énigmatique de Joconde je pouvais bien me mutiler à la Van Gogue! Ou est-ce Van Go? Les Japonais disent Van Goho, les Anglais Van Goff et lui signait ses toiles Vincent! Et bien je vais vous dire une chose, pour perdre son boulot, se mutiler à la Vincent devant les collègues y’a rien de mieux! Et j’ai tenté de convaincre la direction en leur disant : “Vous savez, Vincent n’a pas perdu son emploi suite à ce geste désespéré, au contraire, il a fait des tableaux célèbres! ” Et mes patrons, un peu rabats-joies, m’ont sèchement licencié en me baratinant que le contexte était différent puisque j’étais psychoéducateur dans une école pour enfants autistes. Donc, j’ai perdu mon emploi, ultimement, il faut le voir comme ça, c’était un cri du cœur, un appel au secours, j’avais besoin d’une oreille attentive qui sache trouver les mots pour m’épauler, pas d’une oreille tranchée qui tache les carreaux du plancher!

Il me fallait un remontant, un vrai. Quelque chose qui me décante les boyaux et s’infuse dangereusement dans mes synapses alourdis par des neurotransmetteurs de qualité douteuse. Et je ne parlais pas de ces tisanes de racine de pissenlit et de ces jus dépuratifs au céleri et aloès vera ou encore de ces boissons détox métaux lourds à base de charbon activé! Non! J’avais besoin de me retrouver nez à nez avec le pitbull de mon mal-être! Il me fallait sauter dans le vide et m’accrocher à la liane de mon tarzan intérieur. J’avais le sentiment ultime que mon Frodon intime devait trouver son Samwise Gamegie s’il voulait échapper aux Nazgûls de ses terreurs existentielles! Mais je ne savais pas où débuter ma quête sur la terre du milieu et j’avais appris, tout jeune déjà, après avoir échoué une entrevue pour le poste de flippeur de boulettes chez McDo, que l’humilité est la mère de toutes les vertus. J’ai donc fait appel à des professionnels! Je suis allé consulter une diseuse de bonne aventure avec une spécialité pour la lecture des lignes de la main. Au début je n’y croyais pas moi-même mais à force de me regarder les mains… Elle a fini par me faire voir des chemins, des routes, des autoroutes, des intersections, des canyons, un sens, un destin!! Tout part de la main! …Et du portefeuille! Les séances sont dispendieuses mais Ô combien révélatrices des tréfonds de mes méandres spirituels.

Au début, j’ai fait des erreurs d’appréciation, comme tout le monde, mais pire quoi!! Je suis allé consulter une Manon, une Julie et puis même une Claudette. Oui vous vous en doutez maintenant, le désespoir assombrissait mon jugement comme un blanc se peindrait en noir pour imiter son joueur de basket favori quand il n’est pas blanc. Mais je me suis arrêté au bon moment, juste avant d’aller voir une Clémence… quoi que ça rime avec voyance! Au final y’a pas de remède miracle quand on souhaite se faire lire les mains. C’est aussi ésotérique que ça, il faut aller consulter une Esméralda! Ça tombe bien puisque dans l’annuaire des Liseuses de la main au Québec il n’y en avait qu’une que je me suis empressé de contacter. Mais j’ai un cousin qui a un ami qui connaît un gérant de boutique ésotérique qui a entendu parler par l’entremise d’une voyante amateur qui me racontait qu’il y a toute une histoire de fausses identités dans l’univers des diseuses de bonne aventure. Quand j’ai su cela, je n’ai pas hésité une seconde à faire appel à un détective privé pour m’assurer que l’Esméralda que j’avais repérée ne soit pas une vulgaire contrefaçon asiatique. Comme je le disais, tout part de la main… et du portefeuille. Ça coûte cher un détective privé. Cinque-mille dollars au moins. J’avais dû vendre la collection de pièces de monnaie que ma grand-mère m’a légué en héritage et ajouter la balance afin de couvrir les frais, c’est-à-dire 4950$! Mais Il a fait son enquête et après plusieurs jours de filature dans le quartier polonais de Santiago de Cuba, il est tombé sur Esméralda Osmani une 100% albanaise, du vrai, du bon, de l’authentique, une albanaise certifié bio, que l’on respire comme un bon vin mais avec modération pour éviter les étourdissements soudains. J’ai donc laissé tomber ma substitue québécoise, ma voyante générique, mon jus d’ananas qui ne ferait le choix d’aucun président, mon fromage sans nom qui est aussi sans goût, Esméralda Poulin de Saint-Lin.

Esméralda Osmani…. Mmmm!! Je chantais son hymne à la Marvin Gaye : Sexual Healigne … sexual healigne de la main! Excité comme un écolier dont l’érection réflexe frotte sur la patte de son pupitre en écoutant la professeure lui susurrer des mots tendres sur la fonction polynomiale de degré 2, je partais sur Cuba à la seconde près. Santiago de Cuba… I was coming!, …Il faut l’entendre avec mon accent espagnol appris sur le tard avec une professeure Islandaise! Pour ceux qui ne sont jamais allés à Santiago, c’est une ville historique très colorée! Je vous la recommande surtout si vous aimez le rhum, les voix inimitables à la Ibrahim Ferrer et les projets de lois faussement introduits par la CIA, dont l’opération ‘Peter Pan’ qui aura convaincu les parents cubains d’envoyer en exode 14 000 enfants sur le sol américain! Ça me faisait gerber mon ropa vieja ces histoires-là!

Le détective m’avait refilé l’adresse d’Esmeralda. Pour quelques pièces rares de ma collection de monnaie grand-maternelle, il avait même contacté Mme Osmani pour me prendre un rendez-vous. Elle habitait sur la rue Anacaona près du Parc Zoologique de Santiago, une rue cubaine réputée pour ses diseuses de bonnes aventures! Dans les arbustes qui longent les maisons de la rue, on y trouve aussi des Bambana Bambana, ces petites créatures longiformes rouge à moustaches et qui se nourrissent du poil des chevaux. Mais ça c’est pour une autre fois, je le crin!

Après un vol sans accrocs et quelques mouches avalées malencontreusement en cocotaxi, j’étais enfin devant la porte d’Esméralda Osmani. Je sentais mon destin me tirer vers l’avant comme doivent le faire les pectoraux d’un bodybuilder professionnel lorsqu’il monte sur scène pour rouler sa mécanique absurde. Je n’avais pas encore franchi le pas de la porte que j’entendis dans un français impeccable légèrement teinté d’un accent hispano-albanais des années 30 : “Je vous attendais! ” Abasourdi, je cherchais la caméra ou le miroir de coin lorsque j’entendis : “détecteur de mouvement! ” Sacré Esméralda, elle me plairait, j’en mettais ma main au feu… enfin pas avant de me la faire lire évidemment!

Dans l’entrée, il y avait un petit “vestiboule” – merde! Je venais de prendre l’accent hispano-albanais des années 30’ – un petit vestibule complètement vide mis à part trois cadres dont l’un représentait George Kastrioti Skanderbegu héro albanais du 15e siècle qui a mené une rébellion contre l’empire ottoman, mère Thérèsa, aussi d’origine albanaise et Mick Jagger qui en vieillissant ressemblait de plus en plus à mère Thérèsa! En fait, les trois personnages se ressemblaient à s’y méprendre ce qui laissait présager le faciès de ma diseuse de bona, pour faire court. Esméralda me fit signe d’entrer dans la pièce adjacente au vestibule. Je vous épargne les descriptions Balzacienne du lieu mais en trois mots : c’était petit, albanais et odoriférant! “Assoizez-vous” me dit-elle en me fixant de ses grands yeux verts aussi profonds que les ambitions et les calculs machiavéliques d’un politicien à sang froid. Une fois assis, elle ne perdit pas une minute. J’eu à peine le temps de placer mes mains sur la table qu’elle s’en empara fermement. Elle se mit à fredonner des incantions dont la mélodie ressemblait étrangement à Yellow Submarine des Beatles. Rien pour me rassurer, surtout quand on sait que la chanson a été composée comme une ritournelle pour enfant.  Mais quand elle se mit à baragouiner des anomalies incompréhensibles en Albanais, qui ressemblaient davantage à des incantations sataniques, je sentais que j’étais sur la bonne voie. Enfin presque! Je préférai cela à la voix chancelante et particulièrement lassante de Ringo Starr. Et aussi brusquement qu’elle avait débuté ses enchantements, elle desserra ses mains des miennes et en me fustigeant du regard elle me dit : “Vous avez la prophétie!

La prophétie? ” Répliquais-je avec un accent à la mère Thérèsa ou à la Jagger je ne sais plus.

Oui, vous êtes l’élu de les lignes! ” me dit-elle sans broncher.

L’élu de les lignes?? ” lui lançais-je, incrédule comme peut l’être Saint-Thomas sur la résurrection du Christ, la seule personne à qui j’aurais confié mes économies d’une vie s’il avait été banquier.

Mais qu’est-ce que c’était que ces sornettes?? Pensais-je perplexe. Et perplexe n’est pas ici un Père qui a plusieurs habitations à revenus.

Oui vous êtes l’élu de les lignes, je l’ai lu dans vos lignes! C’est littéral et libellé librement sur les lézardes de vos mains! ” me dit-elle dans un français surprenant et comme possédée par l’esprit de Bernard Pivot.

Mais j’étais foutrement déçu et frustré. Tout ce chemin pour me faire bourrer le mou avec un conte pour enfant! Je sentais l’imposture et la colère monter en moi. Pour conserver mon calme dans ces situations, ma main faisait un aller-retour dans la poche de ma veste et en sortais une boîte à cachets. Je l’ouvris délicatement, identifia celui dont j’avais besoin (dans le cas présent il s’agissait d’un cachet de flegme britannique) et l’avala illico. Ensuite, je me levai gracieusement avec le dédain de ces gens qui ne font rien à moitié et lui dit : “Mais qu’est-ce que ça veut dire b…..? ” Je retins tant bien que mal l’insulte qui roulait perceptiblement au bout de mes lèvres molles qui s’étaient trop souvent adonnées à l’allégresse décadente des puddings et la laissai parler :

Je ne peux vous en dire davantage, ça fera 2000 shouklouks!!! “

QUOI??? Elle osait me demander de l’argent pour ces sornettes de prédictions à la mord-moi le nœud? Et des shouklouks… merde… c’était quoi des shouklouks. Je m’en battais les shouklouks de ses shouklouks!  Pour conserver mon calme,  j’avalai un autre cachet de flegme britannique mais jumelé à une bonne dose de “sauver la face” chinois. Calmé grâce aux remèdes sino-britannique, je lui virai ses shouklouks à la noix à partir d’une appli de taux de change CAD vers SHOUKLOUKS, la 2e moins populaire devant l’appli CAD vers Kancres, la monnaie du Prokasnistan et parti avant de tout détruire dans ce boui-boui à 2 shouklouks! Et j’étais généreux! À bout de nerf, je sortis en trombe et fonçai tout droit sur une personne qui transportai des sacs d’épicerie. L’accident, inévitable, avait été comme un sort jeté par une diseuse de mauvaise aventure albanaise à 1 shouklouk, j’ai la liste avec moi et elle n’est pas longue !! Exaspéré, mais encore sous l’effet des cachets, je l’aidai à tout ramasser. Quand je me relevai elle me fit le plus beau sourire qu’une femme ne m’avais jamais fait et mon cœur se mit à battre comme une Ferrari sous le pied délicat de Michael Schumacher avec un tour à faire pour gagner le championnat! Elle avait le visage sublime et classique des statues grecques mais sous les traits délicats et raffinés d’une asiatique! En me voyant aussi affecté par l’effet qu’elle produisait sur moi, elle accentua encore plus vivement son sourire et se présenta : Hi! My name is Lee Ling!

Oh merde! Lee Ling de la main! La prophétie!