Le crapaud de roche et la luciole

Un crapaud de roche dont l’âge ne comptait pas les quatre saisons, était épris d’une luciole qui venait d’arracher au vent ses premiers battements d’ailes. À l’ombre de son minéral, le crapaud méditait jour et nuit une façon d’attirer la belle. Il n’avait pour seule vertue que quelques pustules et pour tout autre son, qu’un coassement repoussant qui tourmentait même ses congénères durs de la feuille.

Le soir venu, comme à son habitude, il entama pour elle sa romance de crapaud, sa litanie de Roméo: “Mais tais-toi donc!” lui cria sa voisine la gerboise sur un ton belliqueux“: Si tu réveilles mes enfants, je siffle au corbeau” finit-elle en le menaçant de ce mot. Mais le crapaud, tout aussi jeune qu’il n’était sot, sentit l’imposture: “Mais faites donc mère gerboise, qu’en l’attirant ici il décide du met qui lui convienne, une gerboise bien laiteuse ou un crapaud pleins d’enflures”. Sur ce, mère gerboise se tût en le foudroyant du regard et rentra bien assez vite sur son territoire.

Mais l’intervention de la rongeuse eu quand même l’effet escompté. Le crapaud interrompu le concert et murmura sous sa roche encore chaude du jour: “Si je ne peux chanter mon amour alors que me reste-t-il pour l’appeler? Rien ne sert de me faire beau, tous les jours je vois mon reflet sur l’étang, rien ne sert de lui faire milles cadeaux, je n’ai que ma roche et mes plaintes d’éléphant ”.

À l’ instant où son cœur se serrait, que l’espoir perdait racine au fond de lui, une voix belle comme la nuit lui dit: “Beau crapaud, tu n’as pas besoin d’en faire davantage, d’ici haut j’ai entendu ton message!“.

Le crapaud frissonnant à ces mots et qui sent des ailes lui pousser: “Est-ce toi belle luciole ou est-ce l’imagination de ma tristesse?? Beau, tu m’as appelé beau alors que je n’ai d’autre peau que ce vêtement sans finesse, que cette enveloppe sans joyaux! ”.

La luciole en l’interrompant presque : “Je n’ai que faire de ton dos! N’as-tu jamais vu ma lumière briller pour toi?? Comme elle double sa chaleur quand tu chantes pour moi?? Puisqu’elle est silencieuse, peut-être l’as-tu vu éclairer la forêt sans discerner qu’elle s’entichait de ta voix!! Sache crapaud que cela fait longtemps que je t’aime, mais chez les lucioles, seule la lumière fait des poèmes”.

Le crapaud bouche bée rétorque tout de même : “Serait-ce possible que de tout temps nous chantions l’un pour l’autre sans en distinguer le précieux?? Et qu’enfin par le bonheur d’un hasard je puisse unir ma voix à la beauté de tes feux?

La luciole qui se laisse doucement tomber de sa feuille en direction du batracien : “Regarde alors que je m’approche de toi, ne vois-tu pas mon ventre qui s’embrase! ”

Le crapaud dont la joie est profonde : “Il est vrai, j’étais si préoccupé par mes élégies nocturnes que j’ai fermé les yeux et en ai raté toute l’extase ”.

Sur ces mots, le crapaud se mit à coasser ses plus belles psalmodies et la luciole transperça la nuit d’une lumière si magnifique que tout l’étang croyait voir un opéra lunaire!